Épinard 🌳#66 - Fusion Nucléaire : la martingale énergétique ?
Et si on résolvait le problème de l’énergie… pour mieux en créer d’autres ?
Hello 🌳
C’est le fantasme scientifique par excellence : produire une énergie propre, quasi infinie, sans CO2, sans déchets radioactifs à longue durée de vie, sans risque d’emballement.
L’énergie du Soleil dans une boîte. C’est la promesse de la fusion nucléaire.
Mais cette boîte, justement, n’existe pas encore. Et la route pour y arriver pourrait bien durer encore un demi-siècle. Alors, miracle écologique ou mirage technologique ? Voyons pourquoi tout le monde s’emballe – et pourquoi il faut garder la tête froide.
🎤 PS : On se retrouve à l’Académie du Climat le mercredi 25 juin à 19h pour une conférence sur mon sujet favori “Mobiliser l’épargne pour accélérer les transitions écologiques et sociales”.
C’est gratuit et les places sont dispos ici, une bonne occasion de se voir “en vrai” !
Allez c’est parti pour cette nouvelle édition,
Gaël 🌳
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🔍 1. Fusion vs Fission : la grande confusion nucléaire
Petit rappel de physique nucléaire pour briller en soirée.
Fission : on bombarde un noyau lourd (comme l’uranium 235) avec un neutron. Le noyau devient instable et se scinde en deux noyaux plus légers, en libérant de l’énergie et des neutrons secondaires. Ces neutrons peuvent à leur tour provoquer d’autres fissions : c’est la réaction en chaîne. Il faut donc des systèmes de contrôle très rigoureux pour éviter l’emballement (cf. Tchernobyl).
Fusion : on fait fusionner deux noyaux légers (deutérium et tritium - les isotopes de l’hydrogène pour les physicien-nes) pour produire un noyau plus lourd (hélium) + énergie. Sans réaction en chaîne.
La fusion, c’est donc plus sûr, plus propre, et avec des déchets moins embêtants (pas de plutonium à stocker 100 000 ans).
2. Pourquoi tout le monde fantasme sur la fusion
Parce que sur le papier, c’est le Graal :
Abondance : le deutérium est partout (dans l’eau de mer), le lithium pour le tritium est relativement abondant (plusieurs millions d’années de stock avec les réserves connues).
Zéro CO2 pendant le fonctionnement. Et une empreinte carbone totale très basse, même en cycle de vie.
Sûreté passive : si le plasma sort des clous, la réaction s’arrête toute seule.
Pas de risque militaire : pas d’uranium enrichi ou de plutonium.
Déchets radioactifs à vie courte : les matériaux activés peuvent être recyclés après 50-100 ans.
Une puissance inégalée : En termes de puissance libérée, la fusion est aussi bien plus efficace. À masse de combustible égale, la fusion libère environ 4 fois plus d’énergie que la fission. Et par rapport aux énergies fossiles ? On parle d’une densité énergétique des millions de fois supérieure. Par exemple, un seul gramme de combustible de fusion pourrait produire autant d’énergie que plusieurs tonnes de charbon.
Mais pour que ça marche, il faut créer et maintenir un plasma à plus de 150 millions de degrés.
Oui, c’est plus chaud que le Soleil.
Et il faut ensuite le contenir sans qu’il touche les parois. Le tout sans perdre plus d’énergie qu’on en produit. Bonne chance.
Alors on en est où de cette quête du Graal ?
🛍️ 3. Jalons passés et futurs : ITER, startups et ignition
1930s : Les premières réactions de fusion ont lieu en laboratoire et on pose les formules qui les régissent.
1940s : Premiers designs de réacteurs à fusion par les britanniques
1950s : Les Soviétiques sont les premiers à construire un tokamak (cf-image ci-dessus). Ces réacteurs en forme de beignet (ou tore) utilisent des champs magnétiques pour confiner le plasma afin de tenter d’initier des réactions de fusion sur Terre.
1985 : Lancement d’ITER, le plus grand projet international de recherche sur la fusion. Construit en France, il regroupe 35 pays. Son objectif : démontrer qu’il est possible de produire 10 fois plus d’énergie qu’on en injecte dans le plasma et maintenir les réactions de fusion plus de 15min.
2022 : aux États-Unis, le National Ignition Facility (NIF) annonce une avancée majeure : pour la première fois, une expérience de fusion par laser a produit plus d’énergie que celle transmise au combustible. C’est ce qu’on appelle l’« ignition scientifique ». Un jalon symbolique, mais très loin encore d’une application industrielle.
Aujourd’hui :
ITER a pris beaucoup de retard et les premiers résultats devraient se produire à la fin des années 2030.
Depuis, de nombreuses startups se sont lancées explorant des voies originales pour créer et maintenir des réactions de fusions (Commonwealth Fusion Systems, TAE Technologies, Renaissance Fusion, Helion Energy, General Fusion...).
Les premiers réacteurs pilotes sont annoncés pour les années 2030 du côté des startups. Quand les projets publics visent plutôt 2050.
Et entre-temps, il faudra démontrer qu’on peut produire plus d’électricité qu’on en consomme, à grande échelle, à coût compétitif. Et c’est là que ça se complique.
🍩 4. Le donut des limites planétaires : une énergie illimitée dans un monde limité ?
On pourrait croire que si on résout le problème de l’énergie, tout le reste suit.
Spoiler : non.
La fusion n’émet pas de CO2, mais...
Elle utilise du lithium, un métal critique déjà très sollicité (batteries, etc.).
Elle nécessite des matériaux très spécialisés (tungstène, béryllium, HTS...) pour construire les réacteurs. En plus de beaucoup d’acier, de béton, de composants high-tech.
Et surtout, elle pourrait relancer une logique d’abondance énergétique sans frein.
Imagine un monde où l’énergie ne coûte (presque) rien, où chaque industrie, chaque pays, chaque foyer peut produire, transformer, chauffer ou climatiser à volonté.
Cela bouleverserait notre rapport à la rareté — mais pas nécessairement dans le bon sens.
Avec une énergie illimitée, on pourrait :
se passer des énergies fossiles et aspirer le CO2
désaliniser massivement de l’eau et résoudre les problématiques de pénurie d’eau douce
dépolluer massivement les sols
recycler comme jamais
Mais aussi :
produire des engrais à gogo
automatiser toujours plus
développer l’extraction minière la plus profonde et la plus sale sans contrainte énergétique
Construire toujours plus et augmenter la pression sur la biodiversité
Bref, ouvrir grand la porte à une intensification de l’empreinte écologique humaine. Plus de béton, plus de métaux, plus de flux logistiques — et donc plus de pression sur les autres limites planétaires : biodiversité, usage des sols, cycle de l’azote, cycle de l’eau, pollution chimique, etc.
Dit autrement : la fusion pourrait lever la limite énergétique mais aggraver toutes les autres.
Elle n’abolit pas la sobriété.
Elle la rend même plus essentielle pour éviter de décaler les problèmes.
Oh et de toute façon les applications industrielles de cette technologie arriveraient au mieux (et en étant très optimiste) dans les années 2040.
Ce qui rend indispensable l’ensemble des efforts actuels.
💸 5. Et côté investissement responsable ?
Comme souvent, tes impôts font déjà une partie du job.
ITER étant financé par de l’argent public.
Si le secteur attire de plus en plus de capitaux (Bill Gates, Jeff Bezos...) et certaines briques technologiques sont déjà exploitables (aimants HTS, cryogénie, matériaux), l’accès à ces investissements est très restreint.
Investir dans la fusion aujourd’hui, c’est prendre part à un pari technologique de long terme. Comme le résume un analyste, « la fusion nucléaire reste un investissement à très haut risque, car la technologie n’a pas encore fait ses preuves »
Selon moi, cela ne doit pas justifier l’inaction ailleurs : les technologies disponibles aujourd’hui (efficacité énergétique, renouvelables, rénovation) sont les vraies priorités pour le climat avant 2040.
Conclusion
La fusion nucléaire est sans doute l’un des paris les plus fascinants de l’histoire de l’énergie.
Mais ce n’est pas une baguette magique. C’est un horizon, pas une excuse.
On ne peut pas tout miser sur une technologie qui pourrait nous sauver dans 20 ou 30 ans.
Cela est d'autant plus vrai lorsqu'on adopte une réflexion de type "Donut".
Une martingale énergétique ? Peut-être.
Une martingale climatique et sociale ? sûrement pas.
Dans un monde fini, il ne suffit pas de produire plus. Il faut apprendre à dépenser moins.
Et c’est peut-être ça, le vrai graal.
On se retrouve dans deux semaines pour une nouvelle édition 🌳
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👋
Gaël 🌳
⚠️ Et pour finir : Je voudrais te rappeler qu’ici tu ne trouveras pas de conseils d'investissement ni de recommandations personnalisées. Ces informations sont impersonnelles, uniquement à but informatif et pédagogique et ne sont pas adaptées aux besoins d'investissement d'une personne spécifique.Tu dois aussi garder en tête qu’investir dans des actifs cotés ou non cotés comporte un risque de perte partielle ou totale des montants investis ainsi qu'un risque d'illiquidité.Et enfin, le traitement fiscal d’un investissement dépend de la situation individuelle de chacun. Souviens-toi que les performances passées ne préjugent pas des performances futures.