Épinard 🌳#65 - Kaki is the new green(fin) ?
L’investissement dans la défense peut-il être responsable ?
Hello 🌳
Aujourd’hui je débarque avec un sujet (malheureusement) d’actualité : le financement de la Défense.
Je sais, le sujet est complexe. En même temps, il ne faut pas oublier que la France est le troisième exportateur d’armes au niveau mondial, et qu’elle a représenté 7,9 % du marché entre 2015 et 2019.
Et les choses s’accélèrent depuis quelques mois puisque l’Europe a décidé de prendre en main sa défense militaire. En mars dernier, le gouvernement a annoncé que les particuliers et les entreprises pourraient bientôt investir dans la Défense via le fonds BPI France Défense.
Mais est-ce que ça peut vraiment aller de pair avec l’investissement responsable ?
Analysons ensemble :
La différence entre finance responsable et finance verte ;
Ce que cela englobe quand on parle de Défense ;
Les raisons qui font qu’aujourd’hui la Défense est exclue de la finance responsable et verte ;
Les besoins financiers actuels du secteur ;
Si la Défense peut vraiment être considérée comme un socialement responsable
Oui le plan est plus long que d’habitude, mais vous connaissez la maison : ça va rester simple, compréhensible et vous aurez un super sujet de discussion pour le trajet retour de votre weekend.
PS : c’était double newsletter cette semaine, avec une édition co-écrite dans Le Plongeoir, à découvrir ici
Bonne lecture !
Gaël
Tu veux passer à l’action ? Tu peux :
👉 Réserver une consultation : on fait le point ensemble sur tes investissements.
👉 Acheter l’Office : le guide pas à pas pour déclarer tes impôts sans stress.
👉 Devenir sponsor : réponds simplement à cet email, on s’occupe du reste.
👉 Explorer les archives d’Épinard 🌳 : des pépites à (re)découvrir.
👉 Partager l’article : tu penses à quelqu’un ? Clique ici
Pendant de longues années, ce n’était même pas imaginable de faire rentrer la Défense dans l’investissement responsable.
Avec les bouleversements géopolitiques, les choses changent.
La finance responsable n’est pas la finance verte.
Déjà, il faut bien garder en tête que la finance verte, la finance responsable et la finance durable, ce ne sont pas exactement la même chose.
La finance durable englobe les deux premières, qui elles se distinguent par l’intention qui se déclinent ensuite dans les outils, certifications et labels mis œuvre.
Pour décider du critère de durabilité, on s’appuie sur un référentiel commun: les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) établis par les Nations Unies en 2015.
Gardez ces ODD en tête car je vous en reparle juste après parce que la Défense y figure.
La finance verte cible l’environnement
Aussi appelée finance environnementale, la finance verte investit dans des projets qui ont pour objectif la lutte contre le changement climatique et le maintien de la biodiversité.
On y retrouve des produits financiers portant des labels comme le Greenfin ou également le label Finansol.
Globalement, l’argent placé sert à financer des projets qui ont une portée environnementale forte.
La finance responsable mise sur l’extra financier
La finance responsable peut être considérée comme une autre branche de la finance durable.
La logique est différente. Elle prend en compte des critères extra-financiers, les fameux critères ESG - Environnementaux, Sociaux ou de Gouvernance -, pour décider dans quels projets investir.
Chaque société de gestion module ces 3 critères comme bon lui semble, pour créer des investissement avec une intention plus sociale, ou un mix des 3 critères.
Bref, chacun sa recette…
Par défaut, le secteur de la défense peut être inclus.
Mais je m’avance, je vous explique ça après.
Qu’est-ce qu’on entend par “la Défense” ?
(Spoiler : non, on ne parle pas du quartier d’affaires parisien.)
Quand on évoque “le secteur de la Défense”, l’image qui vient spontanément à l’esprit, c’est celle des armes, des chars, des avions de chasse. Pourtant, cette vision est réductrice. Le secteur est bien plus vaste et complexe.
La Défense, ce n’est pas uniquement l’armement stricto sensu. C’est un écosystème technologique, industriel et logistique qui englobe une multitude d’activités. On y trouve bien sûr la fabrication de matériel militaire — armes, véhicules, munitions — mais aussi tout ce qui permet à une armée de fonctionner et de se coordonner : systèmes de communication sécurisés, satellites d’observation, cybersécurité, radars, technologies de brouillage.
C’est aussi l’approvisionnement en nourriture, en vêtements techniques, en carburants spécifiques, la médecine militaire, la maintenance, l’intelligence artificielle appliquée à la stratégie, ou encore les logiciels de simulation et de commandement.
Autrement dit, parler de Défense, c’est parler d’un secteur tentaculaire à la frontière du civil et du militaire, qui mobilise des compétences allant de l’agroalimentaire à l’aérospatial, en passant par de l’ingénierie logicielle.
Le problème : l’usage et les polémiques
Il ne faut pas oublier que si la vente d’armes est légale en France, elle doit s’inscrire dans un cadre légitime : pour se défendre, pour le maintien de l’ordre etc.
C’est la seconde moitié de la phrase qui en fait un secteur touchy.
Car les polémiques sont nombreuses et la France n’est pas exemplaire.
Loin de là, puisqu’aujourd’hui 11 ONG l’attaquent en justice pour son refus de rendre des comptes sur ses exportations d’armement.
Selon le Traité sur le Commerce des Armes, La France doit obligatoirement s’assurer que les armes fournies à des pays étrangers ne seront pas utilisées contre des civils…
Mais, quand on sait que le 26 mars dernier, Sébastien Lecornu était contraint de reconnaître que la France avait autorisé la livraison de composants pour mitrailleuses à Israël après le déclenchement de l’offensive à Gaza, ça pose question.
Tout comme l’utilisation des canons Caesar (fleuron Français) face au Yemen.
Je ne cite que deux exemples “marquants” mais la liste est longue.
Mettons les chiffres sur la table : 800 Mds€
Depuis l’invasion de l’Ukraine et dans un contexte de désengagement progressif des États-Unis de la défense européenne, le regard sur le secteur de la Défense a radicalement changé. Longtemps mis à l’écart par les financeurs publics et privés, il revient aujourd’hui au centre des priorités stratégiques.
En mars, Ursula von der Leyen a dévoilé ReArm Europe, un plan ambitieux pour préparer l’Union européenne aux enjeux de sécurité à l’horizon 2030. Objectif affiché : mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros.
Mais où trouver cet argent ?
Dans les budgets nationaux, d’abord : une hausse coordonnée des dépenses militaires à hauteur de 1,5 % du PIB permettrait de générer 650 milliards d’euros sur quatre ans.
Via l’endettement européen, ensuite : la Commission propose d’emprunter 150 milliards d’euros pour les prêter aux États membres, à condition qu’ils investissent ensemble dans l’armement européen.
En recyclant les fonds européens inutilisés : 340 milliards d’euros de fonds de cohésion non consommés pourraient être redirigés vers la Défense.
Et surtout, en mobilisant le capital privé. Car c’est là que le tournant s’opère.
La Caisse des Dépôts et Bpifrance prévoient d’investir 1,7 milliard d’euros pour renforcer les fonds propres des entreprises du secteur.
Et selon Éric Lombard, ce soutien public pourrait servir de levier pour attirer jusqu’à 5 milliards d’euros supplémentaires via des co-investissements privés.
Autrement dit, l’Europe veut réarmer son industrie avec l’appui des investisseurs.
Pourquoi la Défense est-elle aujourd’hui exclue de l’investissement responsable ?
Je vous le dis tout de suite : c’est une question d’image.
Comme je le mentionnais au-dessus, les critères ESG n’excluent pas de facto ce marché.
Jusqu’à présent, les sociétés de gestion considéraient la défense au même titre que le secteur du tabac, du divertissement pour adultes et autres comme une activité controversée.
Le risque d’image étant trop important, ces secteurs sont souvent exclus par défaut.
Revenir sur ces exclusions nécessiterait un vrai changement de posture de la part de la place financière.
D’où les récents discours pour définir la Défense comme un secteur responsable.
Si, si, stay with me.
Éric Lombard a annoncé récemment :
"Certains considèrent que le financement de notre défense ne serait pas cohérent avec une politique environnementale, sociale et de gouvernance ambitieuse. Cette vision est fausse. […] L'investissement dans le secteur de la défense est un investissement responsable. Il est d'autant plus responsable que cet investissement protège notre souveraineté et les principes que nous portons: la démocratie, la liberté, le développement durable.
Comment peut-il avancer ça ?
C’est là qu’on revient aux fameux ODD dont je vous parlais en amont.
Le 16e se nomme “Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable”.
Or difficile d’avoir la paix si on n’investit pas un minimum dans la Défense.
CQFD.
C’est d’ailleurs pour ça qu’Éric Lombard va plus loin en rappelant que le label d’État d’Investissement Socialement Responsable (ISR) permet déjà d’investir dans la défense.
L’investissement responsable et la défense sont-ils vraiment incompatibles ?
C’est la question à 1 000 points.
Récapitulons :
Oui nous devons investir pour la défense européenne
Oui les financements privés seront nécessaires si l’on veut aller vite
Oui la défense peut être considérée comme durable si on se réfère au 16ème ODD (et qu’on ferme les yeux sur l’ensemble des controverses présentes et passées)
Pourtant, il reste un facteur à prendre en compte : Ce que veulent les investisseurs.
Ce doit être le juge de paix avant d’inclure la défense massivement dans les produits d’épargne ou d’investissement.
Or, 58 % des Français·es ne sont pas favorables à utiliser leur épargne pour investir dans ce secteur.
Allez à l’encontre de cette volonté, c’est commettre les mêmes erreurs qu’avec l’environnement et faire du “defensewahsing”.
Conclusion
La Défense peut-elle être “responsable” ? C’est moins une question de doctrine que de discernement.
Oui, on peut convoquer l’ODD 16, oui, on peut parler souveraineté et sécurité. Mais cela ne doit pas faire oublier les controverses, ni effacer la responsabilité des investisseurs dans le choix des lignes rouges.
À défaut d’un consensus, restons lucides : si la Défense doit entrer dans le champ de la finance responsable, alors faisons-le à visage découvert. Avec des produits dédiés, transparents, assumés.
L’épargnant a le droit de choisir. Pas d’être enrôlé.
On se retrouve dans deux semaines pour une nouvelle édition 🌳
PS 1 : Si tu souhaites être accompagné(e) dans tes investissements, réserve une consultation ici
PS 2 : Toutes les éditions précédentes sont dispos ici.
👋
Gaël 🌳
⚠️ Et pour finir : Je voudrais te rappeler qu’ici tu ne trouveras pas de conseils d'investissement ni de recommandations personnalisées. Ces informations sont impersonnelles, uniquement à but informatif et pédagogique et ne sont pas adaptées aux besoins d'investissement d'une personne spécifique.Tu dois aussi garder en tête qu’investir dans des actifs cotés ou non cotés comporte un risque de perte partielle ou totale des montants investis ainsi qu'un risque d'illiquidité.Et enfin, le traitement fiscal d’un investissement dépend de la situation individuelle de chacun. Souviens-toi que les performances passées ne préjugent pas des performances futures.