Hello 🌳
Aujourd’hui, je viens vous parler d’un sujet délicat… le nucléaire et son rôle dans la transition énergétique. Ouuuh le gros mot.
Mais attendez, attendez avant de quitter cet e-mail et de le mettre direct à la poubelle.
J’en ai jamais parlé avant. C’est une question dense, complexe et ayant travaillé plusieurs années dans ce milieu, j’ai conscience qu’elle mérite plusieurs éditions à elle toute seule. (Un petit coucou à ceux qui bossent dans le milieu que j’ai pu croiser).
Allez, dans l’édition du jour on va faire un premier état des lieux du nucléaire en France.
Est-ce vraiment un pilier de la transition énergétique ?
Let’s go !
Gaël 🌳
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Je vois, je vois… un avenir avec du nucléaire
Mettons les pieds dans le plat : RTE (Réseau de Transport Électrique) dans son rapport Futurs énergétiques 2050, montre que tous les scénarios envisagés pour la neutralité carbone en France incluent une part de nucléaire.
Comment ça se fait ?
Plusieurs raisons :
Le nucléaire est complémentaire aux énergies renouvelables. Sans lui, la France devrait investir massivement dans les infrastructures pour stocker l’énergie et compenser l’intermittence de l’éolien et du solaire. Cela aurait donc un coût financier et écologique plus élevé.
Le nucléaire émet de faibles émissions de CO2 :
12g CO2/kWh pour le nucléaire à comparer avec
820g CO2/kWh pour le charbon
490g CO2/kWh pour le gaz
C’est une énergie pilotable, c’est-à-dire qu’on maîtrise à chaque instant la quantité d’énergie produite contrairement à l’éolien ou le solaire qui dépendent de ressources extérieures.
C’est aussi une question de politique, la France a peu de ressources énergétiques sur son territoire (pétrôle, gaz, charbon, uranium). Il s’agit donc de sécuriser l’indépendance du pays face aux crises extérieures. La guerre en Ukraine en 2022 a d’ailleurs montré la dépendance allemande (et européenne) aux importations de gaz russe.
Nous avons hérité d’un parc nucléaire historique qui produit aujourd’hui ~70% de l’électricité en France.
Difficile de s’en passer et clairement pour la partie de notre production qui doit rester pilotable, les alternatives sont peu intéressantes d’un point de vue écologique (gaz, charbon, pétrole) ou pas encore mature industriellement (biogaz, hydrogène, batteries etc) ou déjà proches de leur maximum (hydraulique).
Or les décisions doivent être prises rapidement pour que l’on soit capable de prendre la relève du parc nucléaire vieillissant.
Où en est la France dans tout ça ?
Concrètement, quelles sont les décisions à court et moyen terme pour les projets liés au nucléaire ?
“Le Grand Carénage” ou le grand défi de modernisation du parc nucléaire
La France compte 56 réacteurs dont beaucoup sont plus ou moins…anciens.
Le “Grand Carénage” est un programme déjà engagé par EDF depuis 2014.
Il a pour objectif de prolonger la durée de vie des réacteurs de 10 à 20 ans en les modernisant ou en les rénovant.
En plus de garantir la continuité de la sûreté de l’exploitation, ce projet est surtout là pour assurer une transition progressive vers un nouveau mix énergétique.
Cette durée de vie supplémentaire doit permettre aux énergies renouvelables de se développer et de construire un nouveau parc nucléaire, même si beaucoup de freins existent actuellement. Mais je vous parle de ça après.
Combien ça va coûter ce “Grand Carénage” ?
50 milliards d’euros. Oui, rien que ça.
Quand on parle du coût de la transition qui augmente avec le temps, en voici un bon exemple. Si on avait pris des décisions plus tôt sur notre trajectoire énergétique, on en aurait pas eu besoin…
Je vous laisse retrancher 20 ans pour comprendre pourquoi le grand carénage était inévitable et pourquoi certains poussent pour prolonger encore plus longtemps la durée de vie des centrales.
La construction d’un nouveau parc nucléaire : enfin une décision !
Cette année, Emmanuel Macron a annoncé la construction de 8 réacteurs supplémentaires, en plus des 6 projets déjà en cours. Cela amène à 14 le nombre de nouveaux réacteurs qui devraient voir le jour d’ici 2050.
Ces réacteurs d'un nouveau modèle (appelé EPR2) répondent à un enjeu stratégique :
combler la perte de capacité de production (vu ci-dessus)
éviter de créer de nouvelles dépendances énergétiques (gaz de schiste US ou gaz russe)
Mais au-delà des considérations énergétiques & politiques, c’est fondamental pour assurer un renouvellement des compétences de la filière française.
Cette décision que l'on peut juger bonne ou mauvaise en est au moins une.
Les indécisions des 20 dernières années sur notre mix energétique nous ont déjà fait perdre beaucoup de temps. Saura-t-on s'y tenir ?
A la recherche des compétences perdues
Le projet EPR de Flamanville, nouveau réacteur à eau pressurisée, le quatrième de ce type installé dans le monde, est représentatif de cette perte de compétences au niveau du pays.
Avec un retard de 12 ans sur la date initialement annoncée, et un coût qui est passé de 3,3 milliards d’euros à environ 13 millards, le constat est clair : il y a eu une mauvaise gestion de ce projet complexe et une perte de capacité industrielle.
Sans construction de réacteurs depuis des décennies (le dernier raccordement date de 1999), certaines compétences très techniques ont été perdues ou sont menacées :
Le soudage spécialisé.
Le béton spécifique.
La fonderie d’énormes pièces spécifiques au nucléaire.
Et la liste pourrait continuer.
Pourtant la filière française est unique et reconnue à l’international.
Seuls 5 pays dans le monde sont capables de concevoir et de construire des réacteurs :
Les États-Unis
La Corée du Sud
La Chine
La Russie
La France.
Mais depuis 2017, sur les 31 réacteurs qui ont vu leur construction débuter, 27 sont de conception russe ou chinoise.
Relancer la construction d’un parc national, c’est donc assurer le maintien des compétences et éventuellement une capacité à fournir de l’énergie nucléaire à d’autres pays.
De plus, quand on voit le repli sur soi des US dernièrement, ça rajoute des arguments pour maintenir une capacité nucléaire européenne.
Les SMR : l’avenir du nucléaire ?
Les Small Modular Reactor, ou petits réacteurs modulaires pour les français au fond de la salle sont des centrales nucléaires plus petites, plus faciles à maintenir, moins chères à entretenir et plus sûres. Elles ont tout pour plaire.
La France dédie d’ailleurs un budget de 1 millard d’euros pour l’innovation nucléaire, dont une partie pour développer des projets de SMR.
Parmi les initiatives françaises, on compte Nuward le projet d’EDF, Hexana une startup issue du CEA (Centre de l’Energie Atomique) ou encore Newcleo ou Jimmy.
Ces réacteurs modulaires intéressent notamment les industriels ou les GAFAM souhaitant respecter leurs promesses de neutralité carbone et qui en ont besoin pour alimenter leurs usines ou leurs data-centers.
META avait d’ailleurs pour projet de faire une petite centrale nucléaire pour alimenter ses data centers avec une énergie décarbonnée. Bon, le projet a été abandonné à cause d’une espèce rare d’abeilles (si, si) et non parce qu’il n’était pas réalisable.
Les défis actuels de la filière
Nouvelle école
Je ne vais pas revenir dessus trop en profondeur, mais le nucléaire français manque de compétences.
Les hard skills : des savoirs-faire très techniques qui répondent aux normes et à la qualité exigée pour faire du nucléaire.
Les soft skills : de la gestion de projet à la conception pur de réacteurs.
Après avoir finalisé 3 centrales sur le modèle EPR (Flamanville, Olkiluoton, Taishan et bientôt Hinkley Point) et en avoir tiré les conséquences pour proposer un nouveau design (le fameux EPR2). Les nouveaux chantiers seront une nouvelle école pour maintenir ou réapprendre ces compétences techniques.
La gestion des déchets nucléaires
Avec la sûreté, ce sont sans aucun doute les enjeux majeurs du nucléaire d’un point de vue environnemental, technique et éthique.
Et cette question mériterait une édition à part entière. Mais faisons un point rapide pour apporter quelques éléments de réponse.
Il existe deux types de déchets :
FMA-VC : les déchets de faible et moyenne activité à vie courte : ce sont ~60% du volume des déchets et 0,01 % de la radioactivité.
HA et HAVL : les déchets à haute activité et à vie longue sont moins volumineux, mais ils représentent 96 % de la radioactivité totale.
Ces derniers peuvent rester dangereux pendant 100 000 ans alors que les FMA-VC le sont durant 300 ans.
La solution la plus simple ? Les stocker.
À ce jour, le projet CIGEO en France a pour ambition d’enfouir ces déchets nucléaires en couche géologique profonde, à 500 m de profondeur dans des couches d’argilite pour être précis.
Ce type de stockage est considéré comme étant la meilleure solution à long terme, mais elle rencontre des problématiques d’acceptation sociale.
Malheureusement, il n’existe pas beaucoup de lieux sur le territoire permettant d’envisager ce stockage dans les bonnes conditions.
Une autre solution intéressante : les Réacteur à Neutrons Rapides (RNR).
C’est une technologie avancée qui peut utiliser les déchets nucléaires, et plus spécifiquement les déchets HAVL comme combustible.
C’est l’ambition ultime de la filière nucléaire : être capable de “boucler” le cycle du combustible (les besoins en matière première deviennent ridicules).
Faire de l’énergie circulaire en quelque sorte …
Et on l’a déjà fait en France.
Plusieurs RNR ont déjà vu le jour et ont pu être testés, mais ils se sont arrêtés pour des raisons financières ou politiques comme avec la centrale Superphénix (utilisé entre 1986 et 1997) ou Astrid qui a été abandonné en 2019.
Seule la Russie en exploite plusieurs depuis les années 80.
La sûreté , toujours !
C’est LA question à prendre au sérieux. Et la filière nucléaire française est régie par des normes parmi les plus rigoureuses au monde.
D’ailleurs, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) contrôle très fréquemment les installations pour éviter tout relâchement sur ces standards. Et pour l’avoir constaté, l’ASN est plus Bad Cop que Good Cop.
Cette question de la sûreté pose aussi celle du marché. S’il est légitime de challenger les coûts du nucléaire, il faut bien garder en tête que les économies ne doivent jamais se faire au dépend de la sûreté. Sinon c’est l’autoroute vers l’accident.
La question est aujourd’hui de savoir comment trouver un équilibre entre :
maitrise des budgets et des délais
sûreté des installations
maintien des compétences
Pour avoir été au plus proche de cette industrie, je ne peux que témoigner de l’engagement total des travailleurs du nucléaire à la sûreté des centrales (Merci à vous !).
Comment investir ?
Bon déjà, je peux vous garantir que vous avez tous déjà investi dans le nucléaire.
Que ce soit via votre facture d’électricité ou vos impôts.
Si vous souhaitez miser encore davantage sur cette filière, les moyens sont plutôt limités et correspondent plutôt à des investisseurs qualifiés ou ayant des moyens important :
Investir dans un fonds “Nucléaire”, la plupart se concentrent sur les acteurs du cycle combustible (extraction, transformation) et quelques grands industriels côtés du secteurs. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les grands acteurs de ce marché ne sont pas côtés en Bourse aujourd’hui (EDF, Orano, Westinghouse etc)
Miser sur les nouveaux acteurs : de nombreuses startups voyant le nouvel engouement pour le nucléaire lancent des projets de réacteurs (TerraPower, NuScale, Jimmy, NewCleo etc) mais les tours de tables sont réservés à des fonds souvent institutionnels.
Toutefois, je ne serai pas surpris si dans les prochains mois ou années, on observait la création de fonds plus accessibles pour mobiliser l’épargne citoyenne sur ces sujets.
Et pourquoi pas un grand emprunt national pour financer le nouveau parc ?
Conclusion
Pour cette première édition sur le sujet, j’ai souhaité reposer le cadre du débat qui trop souvent à mon goût tombe dans le cliché.
Si ça vous intéresse, je prévois d’aller creuser certains aspect de la filière dans de prochaines éditions (déchets, SMR etc).
Cette énergie a un potentiel phénoménal, on peut produire beaucoup d’électricité bas-carbone avec peu de matière, sur une surface réduite et de façon pilotable.
Et c’est peut-être son principal défaut, le nucléaire ne pousse pas à engager une démarche de sobriété…
Dis-moi si cette édition t’a plu 👇
On se retrouve dans deux semaines pour une nouvelle édition.
PS 1 : Si tu souhaites être accompagné(e) dans tes investissements, réserve une consultation ici
PS 2 : Toutes les éditions précédentes sont dispos ici.
👋
Gaël 🌳
⚠️ Et pour finir : Je voudrais te rappeler qu’ici tu ne trouveras pas de conseils d'investissement ni de recommandations personnalisées. Ces informations sont impersonnelles, uniquement à but informatif et pédagogique et ne sont pas adaptées aux besoins d'investissement d'une personne spécifique.Tu dois aussi garder en tête qu’investir dans des actifs cotés ou non cotés comporte un risque de perte partielle ou totale des montants investis ainsi qu'un risque d'illiquidité.Et enfin, le traitement fiscal d’un investissement dépend de la situation individuelle de chacun. Souviens-toi que les performances passées ne préjugent pas des performances futures.